14août

Kingdom Come ou le Crépuscule des Dieux

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Dans un futur proche, les super-héros classiques, à la morale irréprochable et aux idéaux élevés - entendre les Superman, Batman, Wonder Woman et tutti quanti - se sont retirés, poussés vers la sortie par les évènements, les pertes et de nouveaux surhumains totalement déresponsabilisés, tout-puissants et livrés à leurs pires travers - des combats au beau milieu de centres urbains, sans attention aucune ni pour les dégâts occasionnés, ni pour les vies annihilées - ; les conflits de générations entre les héros et leur progéniture ont en outre provoqué des ruptures majeures dans les familles et les façons de faire.

Certaines zones demeurent cependant exemptes d’escarmouches super-héroïques et de crime en général, du fait de changement de méthode de grands anciens qui demeurent invisibles dans leurs actions - Batman à Gotham ; Flash à Central City...-, accédant au statut de légendes urbaines ou de pouvoirs invisibles mais omniprésents. Un beau jour, ces nouveaux surhommes ultra agressifs et amoraux vont trop loin et le Kansas est rayé de la carte des Etats-Unis. Au vu d’un tel cataclysme, Superman décide de sortir de sa retraite pour inculquer les valeurs de vérité et de justice à cette nouvelle garde et nombreux sont les héros qui rallient sa bannière et se joignent à sa croisade.

Les surhumains qui continuent à se comporter comme si le monde leur était dû et ne souscrivent pas à cette vision se retrouvent bien vite emprisonnés par les légions de Superman. Demeurent certains esprits libres qui choisissent de s’exonérer de ces 2 visions et se rangent derrière l’ancien ami de Superman devenu son 1er contempteur, Batman, étrangement allié à Lex Luthor - ennemi historique de Superman -. Le fragile statu quo va cependant voler en éclats, déclenchant un conflit majeur entre ces différents groupes qui va mener le monde au bord du précipice...Pendant ce temps, un simple humain, Norman McCay, est le témoin invisible des errements de ces nouveaux dieux via des visions qui annoncent clairement, si ce n’est la fin des temps, la fin des surhommes. Guidé par le Spectre - héraut et exécutant de la vengeance divine -, il va découvrir ce monde super-héroïque qui lui est étranger, les fêlures et les contradictions de la Trinité - Superman/Batman/Wonder Woman - et de leurs entourages et assister à l’effondrement des (sur)hommes, des idéaux et du monde tel qu’il l’a connu. Un titre culte, une formidable expérience de lecture aux dessins époustouflants.

L’œuvre exceptionnelle qu’est Kingdom Come - “Que ton règne vienne” en français - nous propose rien moins que le Crépuscule des Dieux, le Ragnarok des super-héros DC sur fond d’Apocalypse biblique. Aussi explosif que cérébral, ce récit sans temps mort s’appuie sur la quasi-totalité des personnages DC Comics - et c’est impressionnant - avec une accentuation toute particulière mise sur l’exploration psychologique de la fameuse trinité DC. Les scènes de vie sonnent justes, les combats résonnent jusque dans les cieux, et le rythme du récit, savamment dosé, alterne moments intimes et réflexifs avec actions épiques et cataclysmiques. Le choix de faire d’un vieux prêtre torturé aux visions d’apocalypse le narrateur d’une tragédie moderne aux retombées mondiales apporte l’essentiel contrepoint humain aux considérations "élevées” des néo-dieux du panthéon DC Comics, qui s’inscrivent néanmoins dans le cadre de problématiques universelles : la montée de l’extrémisme en temps de crise ; les inquiétudes quant au futur ; les libertés individuelles...

Mark Waid livre avec Kingdom Come un récit blockbuster mature aux relents intimistes et aux enjeux vertigineux, véritable constat - presqu'une condamnation - de l’orientation violente prise par les comics à l’âge moderne - aussi connu sous le terme d’âge sombre - et une ode, nostalgique et enamourée, à l’âge d’or des comics, période où les héros étaient les plus “purs” - au sens de leur exaltation des plus hautes vertus humaines – et où ils faisaient la différence. Pour mettre en image un tel manifeste doublé d’un trépidant récit d’action, il était essentiel que le projet bénéficie d’un artiste d’exception.

Avec le choix d’Alex Ross, maître absolu du style photoréaliste, la partie graphique ne pouvait que s’avérer démentielle ; ce qu’elle est assurément. Ross divinise les personnages DC comme jamais, à commencer par Superman, le 1er d’entre eux, véritable dieu parmi les hommes. La technique complexe alliée à la dynamique du découpage dont use ce véritable Michel-Ange du 9ème Art aboutit à une évidence graphique, foisonnante de détails, d’idées et de références, qui provoque l’adhésion immédiate. L’incroyable travail effectué sur les expressions et les poses des personnages permet de percevoir leur humanité et de ressentir leur divinité comme jamais ; les tonalités chromatiques et le trait exceptionnel de Ross transcendent le simple univers du comics pour faire entrer cette geste super-héroïque impressionnante dans le monde des classiques intemporels instantanés. La mise en scène n’est pas en reste, l’alternance entre scènes d’actions époustouflantes et moments personnels de grâce participant également à faire de cette œuvre une référence artistique au sens le plus noble du terme. A l’arrivée, Kingdom Come est un véritable chef d’oeuvre, qui bénéficie d’une osmose complète entre un scénariste et un dessinateur en état de grâce. Essentiel tout simplement.

Mark Waid est l’un est scénaristes les plus prolifiques du monde du comics, ayant alternativement travaillé sur certains des plus grands titres de DC Comics - Flash, série avec laquelle il a rencontré le succès ; JLA... - et de Marvel Comics – Captain America ; Fantastic Four... -. En qualité d’indépendant, il a créé 2 formidables séries, parues en France chez Delcourt : Empire et surtout Irrécupérable - que Delcourt doit prochainement ressortir en intégrale -. Alex Ross est une superstar du monde des comics dont le nom est toujours attaché à des mini-séries de prestige : s’il a réalisé Marvels et la Trilogie Earth X chez Marvel, il s’est en parallèle illustré chez DC avec les mini-séries Justice et Kingdom Come. Cover artist - dessinateur de couverture - renommé, il n’est pas rare que les plus grands noms de l’industrie fassent appel à ses services. Il est en outre crédité pour la série indépendante à succès Astro City.

Pour qui : toutes celles et tous ceux à la recherche d’une histoire de très grande qualité aux graphismes exceptionnels / aux amateurs de divertissements musclés et à ceux qui qui recherchent des lectures à sous-textes / aux néophytes de l’univers DC comme à ceux qui le connaissent - le nombre de références est tout bonnement hallucinant - / Ceux qui recherchent un beau livre, une véritable œuvre d’art/ tous lecteurs - dès 16 ans -

Le + : L’édition “Black Label” est particulièrement intéressante car bénéficiant de nombreux bonus : des commentaires de Mark Waid sur le contexte de l’industrie du comics dans les années 90 - Kingdom Come est sorti en 1996 - ainsi que sur ses inspirations ; des illustrations préparatoires et des explications de design par Alex Ross. Une très belle et très complète édition.

Kingdom Come - broché - 336 pages - 28€ - édition française Urban Comics / Black Label

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